Potosi, ville au passé aussi riche que tragique

“I am the rich Potosi,
Of the world I am the treasure
I am the king of the mountains
I am the desire of the kings.”
C’est en ces termes que Charles Quint parle de Potosi, ville fondée par les espagnols en 1545. Alors pour le coup, je me risque à un petit cours d’histoire.

Quand arrivent les espagnols en Amérique du Sud, très vite la couronne d’Espagne (qui doit renflouer ses caisses après une guerre contre les Maures qui leur a coûtée bonbon) découvre le potentiel du continent: ressources minérales, peuple à asservir facilement, et territoires gigantesques à conquérir.

A Potosí, les Incas exploitaient les filons d’argent pour se faire des bijoux et autres objets sacrés, mais ne l’utilisaient pas pour sa valeur “marchande”. D’ailleurs les peuples de l’empire incas ne versaient pas d’impôts, mais fournissaient leur main d’œuvre à l’empire. Pas besoin de monnaie dans ce contexte.

Bénéficiant d’un contexte favorable alors que les Incas se déchirent pour “élire” un nouvel Inca, les espagnols ne sont que 180 pour venir à bout d’un empire de plusieurs millions d’hommes. La civilisation Inca à cette époque s’étend du Sud de la Colombie au nord de l’Argentine. Les “conquistadors”, bien renseignés, s’emparent alors des richesses, mettent à sacs l’empire Inca, asservissent les natifs et vont se lancer dans trois siècles de pillage en règle, jusqu’à l’indépendance, autour de 1825.

Les espagnols s’emparent donc de la montagne qui surplombe Potosi, le Cerro Rico, fondent la ville de Potosi et envoient les natifs à la mine.
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Très vite, les machines à laminer, emboutir et frapper la monnaie espagnole arrivent d’Europe (puis des Etats-Unis) et c’est la fuite des richesses vers l’Europe qui est en marche.
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Le Cerro Rico, la “montagne riche”, est donc responsable de bien des maux qu’ont subi les natifs: ce serait plus de 8 millions de mineurs qui ont péri dans les mines. L’argent extrait permettrait de construire un pont entre l’Amérique et l’Europe… les os des mineurs morts aussi.

Cette mine, encore en exploitation, nous l’avons visitée, car aujourd’hui des entreprises proposent aux touristes de les emmener au cœur de la montagne. Certains s’y refusent car cela ne leur semble pas éthique. Pour ma part, je saute sur l’occasion de découvrir ces mines, de rencontrer les mineurs et de faire un saut dans le passé, ambiance Germinal, sans avoir à se farcir le bouquin 😉

Nous passons d’abord au quartier des mineurs, où ces derniers s’approvisionnent en feuilles de coca, boissons sucrées et gâteaux, alcool, explosifs… Organisés en “coopératives” (qui n’ont de sympathique que leur nom) les mineurs doivent sur leur paie misérable acheter leur propre matériel.
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Puis nous entrons dans la mine, équipés comme des mineurs, mais ceux que nous allons rencontrer ne sont pas des rigolos, contrairement à nous. Remarquez le choix judicieux de la chemise, on dirait un contremaître… classe 😉
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Dans la mine, pas d’électricité, mais seulement des conduites d’air comprimé pour faire fonctionner les marteaux piqueurs. Le reste est manuel, de la pause des explosifs, au concassage des minerais à la masse, au transport du minerais à dos d’homme ou en poussant des chariots de plus d’une tonne à la main.
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Nous croisons un mineur qui remonte des sacs de 40 kg de minerai de première qualité par des échelles en bois, sur son dos. Il travaille à mains nues, seul, dans la poussière. Je lui demande si son père faisait déjà le même métier. Il me répond que non, qu’il est le premier, et espère que ses fils ne travaillerons pas ici bas. Je suis impressionné par ses mains, de véritables outils, qui me rompraient le dos si elle devaient s’abattre sur moi.
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Dans de telles conditions de travail, rites et coutumes, jalonnent la semaine de travail, et assurent l’unité, la solidarité entre les mineurs. Nous allons demander protection au “tio”, le “diable” qui protège les mineurs. Son origine remonte au début de la colonisation. Les espagnol, qui imposèrent le catholicisme, battaient parfois à mort les mineurs, et utilisaient la figure du diable pour les effrayer. Ces derniers commencèrent donc, en secret au fond des mines, à demander la protection du diable, via des offrandes quotidiennes de ce qui leur était cher: alcool, coca, cigarettes…
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Les femmes ne sont pas autorisées à travailler dans la mine. Cela porterait malheur. En effet, la terre nourricière, la “pacha mama”, figure féminine parfois associée à Marie depuis les espagnols, serait jalouse.
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Comme d’habitude, encore une manœuvre des hommes pour être tranquilles au fond des mines… Ce stratagème assurant tout de même la protection des femmes qui de ce fait survivent bien souvent à leur maris, dont l’espérance de vie ne doit pas, encore aujourd’hui, dépasser 45 ans.
Jojo a quand même pu entrer, mais pas le droit de travailler. Dommage car elle s’est tout de suite bien sentie dans les mines 😉
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En bons acheteurs industriels, on se demande pourquoi de telles conditions de travail existent encore. Au regard des standards internationaux, la mine de Potosi est considérée comme épuisée. Faute de mieux, elle et encore exploitée à la main, mais il ne serait pas rentable d’y investir. Les mines à ciel ouvert sont aujourd’hui la référence, et le Cerro Rico n’a plus grand chose à offrir.

Au 16 ème siècle, il n’était pas rare de trouver des filons de 3 m de large, d’argent quasi pur. Aujourd’hui les filons font quelques centimètres, et encore faut-il séparer l’argent du zinc et d’autres minerais moins nobles.

Faut-il jeter la pierre aux Espagnols du 16 ème siècle ? C’est derniers devaient surtout rembourser leurs créditeurs suisses, français, allemands… Les richesses immenses de cette montagne ont donc fortement participé à financer notre révolution industrielle, au détriment du développement de ce qui est aujourd’hui la Bolivie.

Heureusement, le salar d’Uyuni contiendrait un bon tiers des ressources mondiales de Lithium. De quoi assurer quelques décennies de croissance aux Boliviens.

L’histoire va-t-elle se répéter au profit cette fois des chinois et autre coréens du Sud ? Ou la Bolivie d’Evo saura-t-elle protéger ses ressources et assurer son développement ?

On dit encore aujourd’hui “Vale un Potosí” pour parler d’une affaire qui rapporte. Espérons qu’à l’avenir on dira “Vale un Uyuni” !!

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